Après une lecture de Liszt pour piano écouter des extraits du CD Liszt Voyageur |
Après une lecture de Liszt « Le meilleur commentaire que l’on puisse faire d’une symphonie ou d’un opéra, c’est d’écrire une autre symphonie, un autre opéra ». Ce n’est pas à Franz Liszt, dont la moitié des opus sont des transcriptions, mais au compositeur italien Luciano Berio que nous devons cette incitation à commenter et réécrire les œuvres aimées. Le présent enregistrement s’inscrit dans cette perspective de lecture active : le compositeur, et Liszt le premier, est d’abord lecteur. Nous proposons trois créations pour piano spécialement conçues pour ce disque, en commentaire des œuvres de Liszt, et tout particulièrement pour Emmanuelle Swiercz. Intitulées Toute forme change, toute durée s’épuise, Tombeau de Nuages, et Creusé vers l’étoile, elles sont regroupées dans un recueil baptisé Après une lecture de Liszt, paraphrasant le titre de la fameuse pièce Après une lecture du Dante. L’ensemble des œuvres de Liszt et de ces pièces s’inscrit dans le thème de ce CD, le voyage : voyage dans l’espace géographique à travers toute l’Europe ; voyage dans le temps, des formes anciennes réactualisées par Liszt aux inspirations contemporaines suscitées par sa musique ; voyage dans l’acoustique du piano et conception de la composition comme déplacement dans l’espace du clavier. Toute forme change, toute durée s’épuise emprunte son titre et son inspiration — l’instant du basculement entre jouissance existentielle et prise de conscience signifiant renoncement au monde, au livre Oberman de Senancour ; la matière musicale est redevable à La Vallée d’Obermann de Liszt (appartenant à La Première Année de Pèlerinage, 1848-1855), dont elle constitue une variation dans un sens très large, conjuguant emprunts fidèles et inspirations plus lointaines ; par exemple, de la descente lisztienne de la main gauche par petits pas vers le grave, Toute forme change, toute durée s’épuise fait une montée à grands sauts vers l’aigu. Extrait 1. Début de La Vallée d’Obermann de Liszt, main gauche du piano. Extrait 2. Début de Toute forme change, toute durée s’épuise d’Alain Bonardi Ce mouvement d’aller-retour entre Liszt et l’époque contemporaine n’appréhende pas le présent comme simple conséquence du passé. A l’opposé, cette démarche explore des ramifications, tend des miroirs, éclaire les œuvres les unes à la lumière des autres. Ainsi, Creusé vers l’étoile est un commentaire du Sonnet 104, plus particulièrement de son début, de cette montée marquant souvent le commencement de l’œuvre chez Liszt, pour s’extraire d’une matérialité pesante, et cheminer vers la lumière, d’où le titre Creusé vers l’étoile. Extrait 3. Début du Sonnet 104 de Liszt. Extrait 4. Début de Creusé vers l’étoile d’Alain Bonardi (éditions Armiane). Mais ce commentaire avec d’amples jeux d’accords qui se répondent entre les deux mains en montant vers l’aigu fait irrémédiablement penser aux Funérailles de Liszt en hommage à Chopin. Le Sonnet 104, Funérailles et Creusé vers l’étoile ainsi se répondent indépendamment des époques. L’extraordinaire variété stylistique de Liszt, capable de juxtaposer dans une pièce comme La rhapsodie espagnole le fameux thème de La Folia à des développements annonciateurs dix ans avant du Tristan de Wagner, permet ce foisonnement des renvois et des références. Tombeau de nuages prolonge Nuages gris, célèbre pièce du dernier Liszt (1885), dont la brièveté est toujours frustrante ; les deux derniers accords qui égrènent sa fin en ont suscité d’autres, pour devenir un monde en soi, un large champ de développement harmonique. Le titre Tombeau de nuages renvoie au double sens du mot « tombeau ». Le premier est, dans l’esprit du XVIIIe siècle, un hommage à un compositeur, comme le rappellera magistralement Ravel dans son Tombeau de Couperin. Le second est le sens classique, nous renvoyant au Liszt âgé, quelques mois avant sa mort, au compositeur-voyageur qui renonce peu à peu à arpenter le monde et laisse désormais les nuages glisser sur lui. Extrait 5. Fin de Nuages gris de Liszt. Extrait 6. Début de Tombeau de nuages d’Alain Bonardi (éditions Armiane). Etre à l’écoute des œuvres de Liszt auxquelles on souhaite rendre hommage suppose des affinités particulières avec des interprètes, d’hier et d’aujourd’hui, dont on estime au plus haut point le jeu dans ces œuvres. Ces trois relectures doivent beaucoup à la pianiste Emmanuelle Swiercz, à qui elles sont dédiées : ses interprétations lisztiennes refusent tout effet tapageur et sont de magnifiques équilibres entre intériorité et extériorité. |
___Creusé vers l'étoile, commentaire du Sonnet 104, ___Nuages gris, suivi de Tombeau de nuages
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